Mercredi je suis descendue à Annecy, où ma mère était hospitalisée depuis le vendredi précédent. Le lendemain de mon arrivée, elle m'offrait, malgré la douleur et la tristesse, son dernier sourire, avant de décéder deux heures plus tard.
Aujourd'hui, à 14h30, auront lieu ses funérailles, en l'église puis au cimetière du Grand-Bornand.
Mon frère, d'autres membres de la famille et moi-même allons lire des textes personnels et d'auteurs - Giono, Jammes, Saint François d'Assise... Deux chorales vont chanter en son honneur, et un CD gravé délivrera des chansons de Polnareff, Cat Stevens, Joan Baez...
Tout cela avait été presque intégralement programmé par ma mère. Elle n'était pas croyante, mon père ne l'est pas davantage, et ni mon frère ni moi ne sommes baptisés. Mais elle souhaitait l'intervention de chorales, ainsi qu'un lieu où chacun-e puisse dire encore qui elle était, et surtout, qui lui permette de donner et donner encore.
Voici le texte que j'ai écrit pour la cérémonie funèbre. En vous l'offrant via ce blog, j'espère vous faire connaître un peu une femme exceptionnelle, et vous faire partager un tournant crucial de ma vie.
Ma mère s'en est donc allée, enfin. Enfin, parce que, vous le savez, elle a lutté de longues années, avec une dignité et un courage qui ont forcé l'admiration de toutes et de tous. Enfin, dis-je, parce que, aussi, depuis quelques semaines, elle n'avait plus la force physique de sortir pour nourrir les oiseaux du jardin, ni la capacité de promener la chienne Praline, et de cela, elle était profondément désespérée.
Car ma mère, c'est avant tout une histoire de don et d'amour, et en particulier, pour les faibles, pour ceux qui ont besoin de compassion et d'amour désintéressé. C'est pourquoi, si je pense à ma mère, à sa disparition à un âge si jeune à notre époque - 68 ans, je ne peux que penser, également, à Praline, à Léo, à Titus, à Touitoui, à tous ces animaux qui aimaient passionnément ma mère*, tout comme moi-même, je l'ai passionnément aimée.
À ma mère, je dois mon goût pour mon prochain, qu'il soit humain ou tout autre être vivant. Je dois la curiosité insatiable qui me pousse à vouloir comprendre ceux qu'on appelle Les autres, et l'humilité. Car ma mère était humble, ô combien ! Elle ne se trouvait pas de qualité, s'estimait pas douée, pas gentille, pas très jolie. Elle qui était, tout le monde ici le sait, tout le contraire de cela ! Ma mère a fait naître en moi, involontairement, le goût de la révolte et du combat. Celui pour les incompris, les maltraités, les opprimés, les animaux. Le goût du langage, aussi. Nous nous téléphonions rarement, mais nous nous écrivions souvent. Des lettres, des courriels pleins de sentiments et d'émotions. Sa longue maladie a permis cela, d'ailleurs : de trouver de plus en plus les mots justes, les mots sincères, car face à la mort qui approche on ne peut plus se contenter de demis-mots.
Beaucoup d'entre vous ont d'ailleurs été étonnés de la franchise de ma mère, de la simplicité avec laquelle elle annonçait sa mort et tentait de l'organiser. Elle n'a pas même oublié, elle qui avait tellement de difficultés désormais à guider ses mains tremblantes et abimées par les presque soixante chimiothérapies, de nous offrir une ultime lettre d'amour, une pour mon frère, une pour mon père, une pour moi : elles nous attendaient sur son ordinateur, depuis près de deux mois, tel un dernier cadeau d'une mère, d'une épouse aimante et attentionnée avant le grand départ.
Un passage de sa lettre à mon attention est pour moi un véritable baume sur mon coeur ; de plus, il correspond à un souvenir magnifique de ma relation avec ma mère ; voici ce passage : « j'aimais t'attendre quand tu rentrais du collège pour jouer au master mind et on a beaucoup ri ensemble ; c'est avec toi que j'ai le plus ri !!!! »
Ma mère, bien sûr, ne m'a pas transmis que du positif. Mais c'est uniquement à ce positif que je pense désormais, et tout le reste appartient à une époque révolue. Je lui dois une grande partie de ce que je suis aujourd'hui, et dont je sais avec plaisir qu'elle était fière. Pour une grande part, je lui dois mon militantisme pour les droits des animaux, je lui dois mon métier d'orthophoniste, je lui dois mon activité d'écrivaine.
J'ajoute que ma mère était fière de tous ceux qu'elle aimait, et pas que de sa fille, bien sûr. Elle était très fière, notamment, de son fils, et de son mari.
Par ailleurs, perpétuelle ingénue assoiffée de découvertes et d'apprendre, elle faisait partie de différents réseaux au sein desquels elle était très appréciée pour sa gentillesse, sa bonne humeur, sa simplicité et sa spontanéité. Je tiens, en son nom, à remercier très chaleureusement, pour leur convivialité et le soutien amical qu'ils ont su apporter à ma mère depuis 29 années qu'elle vivait au Grand-Bornand, ses camarades de randonnée, de ski, du cours de peinture, du club des aînés, ainsi que les conscrits de 62.
Mais, est-ce une lapalissade que de le dire ? Toutes celles et ceux qui ont connue Maman, Micette, Pomme, Mauricette, ressentent aujourd'hui, je le sais, une gratitude infinie pour elle. Car à chacune et à chacun elle a donné, sans compter. Grâce à elle, une partie de nous est devenue meilleure. Elle est en nous, à jamais.
Un certain nombre de textes qui vont suivre parlent d'animaux, ou d'humains en difficulté. Vous n'en serez donc pas étonnés puisque ces textes ont le plus souvent été choisis par Mauricette, et qu'ils appartiennent à son univers d'amour pour la nature et tous ceux qui l'habitent. Tous, ils expriment, au plus profond, ce qu'elle était. De même que les chansons que vous avez pu entendre au début de cette cérémonie, telle Donna Donna, interprétée par Joan Baez, dont les paroles évoquent la détresse d'un veau séparé de sa mère, ou Le bal des Laze, qui était sa préférée de Michel Polnareff, et qui parle exactement de Mauricette. En demandant à Jérémie, son fils, de la diffuser en cette église, c'est encore à vous, à nous toutes et tous qu'elle pensait : elle voulait donner un peu de ce qu'elle avait ressenti de cette chanson, un peu de sa compréhension personnelle de la vie, un peu, et même beaucoup, d'elle-même. Ma mère n'est plus, mais aujourd'hui, au travers des musiques et des textes, nous donne encore, intensément.
À ma Maman, avec gratitude. Et amour immense, indéfectible.
À 27 ans, lors d'une "partie de sucre", au Québec :
grignotage d'un bonbon de sirop d'érable bouilli et refroidi sur la neige.
* Ajout pour vous mes lectrices et lecteurs : Praline est une vieille chienne de chasse attachée toute la journée à sa niche, que ma mère, prise de pitié (puis d'affection), promenait depuis plusieurs années au moins une fois par semaine. Les autres sont des chats recueillis. Mon père va devoir prendre la relève, en s'occupant bien davantage de tous ces chienne / chats qu'il ne le faisait.
Quant à Touitoui, ma chatte, elle est revenue il y a plus d'un mois à Paris.
N'hésitez pas à (re)lire, aussi : Sans titre et sans commentaire.
Ajout du 08/04/11 : mon frère a choisi cette photo, c'est une des seules que nous avions sur place. Elle a été affichée à l'entrée de l'église sur l'avis de décès et de bénédiction, puis reproduite et découpée en de nombreux exemplaires pour que les personnes venues aux obsèques puissent l'emporter avec elles. Et voilà que je découvre, au travers des mots des "gens" qui me connaissent (via leurs paroles, courriels, ou encore commentaires de ce billet), que je ressemble à ma mère. Je n'en avais aucunement conscience : durant toute mon enfance et même plus tard, on m'avait répété que j'étais le portrait craché de mon père !... Mais mon étonnement ne s'arrête pas là : j'ai d'un seul coup compris pourquoi ma maman insistait depuis quelques années pour que je me fasse des nattes !!!! ...
Ce que j'ai toujours refusé...