[Suite de REGARD DE MILITANTE SUR UNE MANIF’, 1/ et REGARD DE MILITANTE SUR UNE MANIF’, 2/]
Ceci n'est pas un billet qui brosse dans le sens du poil. Qu'on se le dise ! Mais il se veut constructif. Et reste, bien évidemment, et comme son titre l'indique, très très subjectif et partial !
Je suis assez à l’aise pour tracter. Mon but est que le maximum de personnes puissent prendre connaissance des raisons de la manifestation, et y réfléchir calmement. Rien ne sert de palabrer des heures avec Untel, cela fait louper des tas d’occasions d’en informer d’autres.
Ainsi, j’aborde les passants par un simple « Bonjour » très souriant, pour les mettre à l’aise, tout en leur tendant fermement la pétition, avant de déjà chercher une autre personne.
Certains me remercient chaleureusement, certains même viennent spontanément à moi pour obtenir le tract, certains encore en profitent pour me féliciter.
Une passante végétarienne, qui souhaite des tracts pour en distribuer à son entourage.
Je lui remets un patchwork de documents. Photo : Lorenzo.
D’autres prennent le papier avec mépris, en évitant mon regard.
D’autres le refusent sans un mot, ou encore, me décochent un soupir exaspéré.
D’autres ont des questions, parfois sincères, parfois juste dans le but de ridiculiser notre mouvement et de me montrer qu’eux détiennent le savoir sur ce qu’il est bien ou au contraire aberrant de faire. Il faut leur répondre, sans quoi ils ne souhaitent pas lire le tract. Je leur réponds brièvement, parce que je sais que comme d’habitude, les questions et les réponses vont en appeler d’autres, et je n’ai pas de temps à perdre, vraiment pas : chaque instant vaut de l’or, lorsqu’on se bat pour une cause aussi difficile que celle des animaux d’élevage.
Les objections qu’on m’oppose sont presque toujours les mêmes :
- Et les légumes ? » Dans ce cas, j'offre à mon interlocuteur un point carotte, en le félicitant d’avoir gagné au jeu des Points carotte. J’en ai distribué 3, samedi dernier. Vous ignorez de quoi je parle ? Réponse dans mon livre, ou sur le site d'Insolente !
- J’aime trop la viande. » Je réponds que je comprends, puisque moi aussi j’en appréciais le goût, mais également, que ce n’est pas le problème. Et je réinvite la personne à lire le tract.
- Mais on a besoin de viande, de protéines, mais on fait ça depuis la nuit des temps, ou tout autre question : selon la personne, je tente ou non une réponse, avant de montrer le lien sur le tract, expliquant que le moment ne permet pas de développer le sujet, mais qu’il l’est sur le site.
Un type me hurle que c’est une honte, de s’occuper d’une cause aussi futile, quand on pense aux humains qui meurent de faim !!! À celui-ci, je souhaite répondre que justement… mais il ne me laisse pas l’occasion une seconde de lui donner mon avis - ou plutôt, celui des scientifiques qui se sont penchés sur la question : ce monsieur n’a absolument rien à apprendre de moi.
Un autre, bien plus original - perso, c'est la première fois qu'on me la sort, celle-là !...- déclame sur un ton hargneux, apparemment pour que toute la file d'attente dans laquelle il se trouve profite bien de ses paroles, que « C’est même pas français, abolition de la viande ! Faudrait déjà apprendre à parler français ! Abolir un objet, ça n’existe pas ! » Je m'entends lui rétorquer que je suis orthophoniste [avec, je l'avoue, le désagréable sentiment de lui servir un contre-argument aussi fat que lui], et que la viande avant de s’appeler ainsi est un être vivant, pas un objet, tout en continuant à tracter et en m’éloignant du suffisant personnage. Plus tard chez Copinette, on vérifiera tout de même dans le dico : le type avait tort. Ouf !
Parfois je me sens très seule voire même en colère contre mes collègues militants. Parce qu’ils arrivent en retard à la manif’, parce qu’ils prennent quand même le temps de bavarder avec les copains, parce que celle-ci me répond qu’elle a décidé de ne pas tracter (alors qu’elle est hyperdouée pour cela), car elle ne veut pas avoir froid aux mains.
C’est vrai qu’il fait un temps glacial. C’est vrai qu’on ne peut tracter avec des gants : très ardu, alors, de se saisir des tracts un par un. Ceci dit, lorsque les doigts à nu finissent par être gelés, cela devient très pénible, aussi.
Il ne faut pas que j’exagère, non plus : la plupart de mes camarades se démènent et jouent un rôle très actif dans la manifestation. Mais je dois dire que je supporte de moins en moins que de tels événements se déroulent pour un certain nombre comme une sympathique randonnée : on blablate avec les collègues, on rigole, on ne cherche pas les occasions de montrer ses pancartes aux consommateurs de telle terrasse – il suffirait pourtant de se tourner alors vers eux. Parfois on en oublie même de brandir sa pancarte, qui pend lamentablement contre soi, invisible de personne. On en oublie pourquoi on est là, on en efface les animaux qui eux, aimeraient sûrement mille fois mieux se geler les doigts dans un air hivernal que croupir dans une atmosphère viciée, avec pour seule issue la mort.
Il y a de belles surprises, cependant. Telle cette jeune femme qui, nous ayant vus, est descendue en toute hâte du bus qui devait l’emmener à sa séance de cinéma, et m’a abordée. Pour me dire sa joie de rencontrer d’autres personnes qui pensent comme elle ! Elle ignorait qu’une telle manifestation puisse exister ! Bientôt elle me prend des tracts. Elle tracte à son tour. Elle restera avec nous jusqu’au bout.
Parfois moi aussi, j'en viens à parler avec des collègues. Nous échangeons nos réparties, dans telle ou telle situation, et rions de concert.
- Il est bien coupé, votre manteau ; on ne voit même pas les cicatrices ! » balance Brigitte aux porteuses de fourrures.
- Mes condoléances ! » s'exclame, quant à elle, Francine. Ce à quoi la personne visée demande pourquoi des condoléances. Réponse : « Vous revenez de l’enterrement, non ? »
- Un corbillard qui passait dans le brouillard… » préfère chanter Alexandra.
- Vous avez du sang sur vous ! » s’exclame une autre, au grand dam de la fourrurophile soudain paniquée.
Mais on discute aussi de la manif’ elle-même. On en arrive à la même conclusion : ça ne va pas, cette absence de slogans, de haut-parleur. Les slogans fédèrent, font vibrer à l’unisson, maintiennent l’esprit vers la cause qu’il défend. Le haut-parleur empêche les conversations intimes, les phrases de divaguer. Voilà, aussi, le problème. Les affiches, le visuel sont parfaits ou presque, mais il manque, à l'évidence, le son. Il est vrai que nous sommes accompagnés de musiciens. Mais ce n’est pas pareil. Et puis, de longues périodes s’écoulent sans les entendre. Et enfin, le choix de la musique me semble étonnant, parfois. Des sons aigus cadrent-ils avec le message lourd que nous devons faire passer ?
Il est vrai que nous devions être scindés en deux : ceux qui symbolisent les animaux esclaves, tristes et vêtus de noir ; ceux qui représentent les végétaux, aux habits vivement colorés. Il est important, en effet, de proposer une solution, une alternative séduisante à la viande : le végéta*isme, joyeux et facile. Mais presque tout le monde est en noir…
Difficile voire impossible de dénombrer préalablement les gens qui participeront, et d'obtenir des réponses pour savoir qui jouera quel rôle... C'est toujours le même problème, m'explique Nathalie... En tout cas, il faudrait pouvoir donner, ou plutôt redonner, un mot d'ordre sur place, au tout début de la manif'. Au moins pour celles et ceux qui sont ponctuels...
Photo : Lorenzo.
Copinette suggère de revenir à la définition de manifestation. Copinette aime bien revenir à l’essentiel. Oui, c’est cela : il faudrait revenir à cela. Une manifestation.